L'envie d'avoir envieINTERVIEW DE FRANCOIS CLUZETCiné Rencontres présente vendredi 25 Septembre à 20h45 un ciné Débat exceptionnel autour du film "Le dernier pour la route" qui sort sur les écrans cette semaine... Une (nouvelle) soirée à ne pas manquer !Propos recueillis par Marion Haudebourg pour Evene.fr - Septembre 2009
Un dernier verre au comptoir, et Hervé prend un train. François
Cluzet est Hervé, inspiré d'Hervé Chabalier, le journaliste fondateur de l'agence CAPA
dont le témoignage était paru en librairie en 2004. Le train, lui,
l'emmène en cure pour le soigner de son alcoolisme. 'Le Dernier pour la route' aurait pu
être larmoyant et pénible. Parce que Philippe Godeau a choisi de se concentrer sur une
thérapie de groupe plutôt que sur un combat solitaire, le résultat est tout autre. On y parle de souffrance, certes, mais aussi d'espoir et d'amitié. Loin des effets de manche, c'est la
simplicité et la justesse qui frappent. Nouvelle coqueluche du cinéma français depuis 'Ne le dis à
personne', François Cluzet explose, incroyable de vérité, dans ce film choral où la sobriété règne en maître.
'Le Dernier pour la route' est à mi-chemin entre témoignage et fiction. Laquelle de ces deux directions vous intéressait le
plus ?
Plutôt la fiction. Le sujet du livre offrait un scénario d'une densité exceptionnelle. On y retrouvait des situations
suffisamment complexes et ambiguës pour faire le bonheur de tous les acteurs. Mais Philippe Godeau avait à coeur de faire un film de divertissement. Et c'est en nous poussant à l'échange,
au jeu très sobre et très intérieur qu'il y est parvenu, pour pouvoir laisser passer beaucoup de vie et de légèreté. La vie n'est faite que de contradictions, et il fallait, dans un film
aussi noir, avoir aussi des moments de légèreté, de suspense. Le film est construit comme ça. Le bouquin de Chabalier est autobiographique, mais nous, nous racontons une histoire. Ce
n'est pas exactement la même chose.
Pour moi, le jeu consiste à vivre une situation sur commande. En aucun cas la jouer. Je suis un instrument, un
interprète. Le drame dans le fait de composer, c'est qu'on remplace l'auteur. Dans l'abandon au moins, on est plus que sincère. La maîtrise est un des stades du jeu, mais ce n'est pas le
plus intéressant. Il faut aller au-delà, ne pas vraiment savoir où on va. Et dans cette idée de devenir, il y a une idée de rebondir, de renaître, de repartir, d'être anéanti puis de s'en
sortir. L'idée de jouer avec les autres est vitale. Il faut avoir ce goût de valoriser son partenaire, de tout lui donner. Ca rend la position du spectateur privilégiée parce qu'il voit
quelque chose que personne ne peut voir. Quand un acteur maîtrise, les gens ont assez consommé d'images pour le voir venir à des kilomètres. Dans le cinéma moderne, on a besoin d'acteurs
qui sont à leur place, à leur place de témoin, de figurant même. J'aime cette idée de figurer dans un film parce qu'il me semble que c'est là, dans l'échange avec son partenaire, qu'on
peut donner le plus de soi et donc le plus d'universalité dans l'intimité. Avec un sujet aussi fort, on se devait d'ouvrir le jardin secret, de faire en sorte que ça devienne une histoire
personnelle. Nous avions tous ça en tête. Et c'est beau, c'est ça notre boulot.
Vous êtes en train de préparer un film en tant que metteur en scène. Comment envisagez-vous la direction d'acteurs ? Comme je joue dans le film, je crois que je vais essayer de donner le la, dans un jeu sobre et vivant. Je vais travailler dans l'échange, faire en sorte que les acteurs ne soient jamais seuls avec leurs rôles, que les personnages se renforcent grâce aux partenaires. Ensuite, je vais m'inspirer de Philippe Godeau ou Guillaume Canet et dire aux acteurs de faire confiance au sujet, de s'abandonner, de ne pas trop réfléchir et surtout de ne pas essayer d'être remarquable. Il vaut mieux rester commun. Je crois que les gens ont besoin de cette vérité. Il faut cesser de penser que les acteurs sont sortis de la cuisse de Jupiter ou je ne sais quelle connerie facho qui consisterait à faire croire qu'on naît avec du talent, alors qu'on naît sans rien. C'est la vie qui donne envie. Brel disait "le talent c'est l'envie". Cette phrase m'a décidé à être acteur. Ca fait 35 ans que j'ai envie. Et de plus en plus. Surtout que maintenant j'ai la chance de choisir, de recevoir des propositions de très bons scripts, ou de très bons metteurs en scène, de très grandes productions. C'est tellement plus facile d'être dans un bon film que dans un film au script bancal, à l'histoire bourrée de contresens, aux partenaires pas terribles. Jouer dans un film mauvais, ça arrive vite. Comment les détecter ? Ca veut dire qu'il y a peu de préparation avant un tournage ? Non, au contraire. Il faut beaucoup de préparation en amont, et cesser au dernier moment. C'est-à-dire savoir ce que veut dire le film, comment il est construit, connaître la chronologie (puisqu'il n'est pas forcément tourné dans l'ordre), avoir la logique interne. Cela sert à savoir situer les scènes pour ne pas tout donner au début et rien à la fin. Ensuite, quand on a vraiment imprimé le script et qu'on connaît les dialogues, il faut arrêter de travailler. Ce n'est plus de ce côté-là que ça se passe, mais du côté de l'échange. On cherche la clé pour comprendre la personne en face, et elle aussi cherche la clé. Si on pouvait matérialiser cette dynamique d'une manière électronique, on verrait tous ces liens qui s'échangent. Comme dans le désir.
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